jeudi 30 avril 2009

La lecture, ce vice à punir

Avez-vous des livres subversifs dans votre bibliothèque ? Moi, oui. Philosophie subversive, poésie subversive, art subversif, romans subversifs, essais subversifs. Sans oublier les textes de base des grandes religions, ceux qui touchent aux politiques linguistiques. Et tous les Grands de la littérature. Et les expérimentaux. En réfléchissant bien, il est fort probable qu'il n'y ait dans ma bibliothèque aucun livre non subversif. Quel serait, d'ailleurs, l'intérêt de s'entourer d'écrits insipides, consensuels, lisses, qui n'apportent rien à la réflexion ?

Il y a quelques mois, ptilonorhynque disait se sentir "quelque peu perturbée" en déballant le contenu de sa bibliothèque sur Babelio : impression de se livrer, de se dévoiler un peu trop, de se mettre en danger. Eh bien, il faut le savoir, les livres que nous possédons dans nos bibliothèques peuvent retenus contre nous. Par la justice de notre pays. C'est ce qui vient de se produire à la bibliothèque collaborative de Tarnac, petite bourgade du Plateau de Millevaches (Corrèze) : les policiers y ont saisi vingt-sept livres (sur 5000) qu'ils ont estimés subversifs, pour les porter au dossier d'instruction dans le cadre de "l'affaire Coupat". J'aimerais beaucoup connaître la liste complète des titres saisis. Je sais seulement, grâce à un article de Libératon, que parmi eux figurent L'insurrection qui vient (gros succès de librairie depuis quelques semaines...), un livre de Toni Negri, une enquête du journaliste David Dufresne publiée chez Hachette-Livres, Maintien de l'ordre.

Lorsque j'ai eu connaissance de cette descente de police dans une bibliothèque, j'avoue que mon sang de bibliothécaire s'est mis à bouillonner. Je me suis interrogée sur le pouvoir du livre, aujourd'hui où tout circule si facilement sur internet. Les livres sont encore perçus comme un danger par les pouvoirs en place ! Ils peuvent être pris en considération par la justice comme élément à charge ! Aujourd'hui ! En France ! J'en suis abasourdie, partagée entre le rire et l'indignation. D'autant plus que ces ouvrages, il suffit d'aller dans une librairie ou une bibliothèque publique pour les trouver - on déniche aussi facilement, sur internet, de larges extraits de la prose fort intéressante du Comité invisible...

La petite bibliothèque de Tarnac n'est (n'était ?) certes pas une bibliothèque "publique" au sens où nous, professionnels, l'entendons habituellement. Le bibliobus de la bibliothèque départementale de prêt de la Corrèze n'y faisait peut-être pas de dépôt. Il s'agit d'une bibliothèque privée, mais gérée collectivement et largement ouverte aux amis, ainsi qu'à la population du village et du Plateau. Je n'ai jamais mis les pieds à Tarnac, mais j'imagine cette bibliothèque comme un lieu de vie, un espace mis en commun, propice à l'étude, à la réflexion et aux échanges, en lien étroit avec un autre lieu si important dans la vie d'un village : l'épicerie.

Les bibliothécaires apprécieront. Les autres aussi.

Pour prolonger : le blog de Benjamin, "épicier-terroriste" amateur de livres

vendredi 24 avril 2009

Mineur du livre à la British Library

"J'aurais dû deviner que je finirais par m'embarquer dans une histoire avec les livres. Je trouvai un boulot monotone mais pas compliqué à la British Library, où je me transformais en ver de terre muni de bras afin de remonter à la surface des livres qui s'entassaient sur des kilomètres de tunnels sous Bloomsbury. Je passais mes journées dans les entrailles de ce sinistre bâtiment, cerné par des monceaux de papier imprimé qui tombait en poussière, émergeant de temps à autre dans la lumière et l'espace de la magnifique salle de lecture. Tout en travaillant, je chantais, ou je fredonnais : "Je suis un ver et je vis sous la terre."

Mes yeux, comme ceux de mes compagnons de travail, s'étaient adaptés à cette seule lumière tamisée et artificielle. Nous, les mineurs de livres, nous méprisions les lecteurs, leur arrogance, leur oisiveté, les jeux de séduction auxquels ils s'adonnaient entre eux. Ne se rendaient-ils pas compte qu'ils étaient dans une bibliothèque ? Même si nous étions un peu bizarres, un peu monstrueux même - véritables notes de bas de page du corps de leur texte -, ne pensaient-ils jamais à ce que nous faisions pour les approvisionner ? J'aimais pousser mon chariot, le dos courbé, dans les profondeurs de la terre, dans ce que Keats appelait les "passages sombres". Certains de ceux avec qui je travaillais peinaient dans cette vallée de livres depuis trente ans. Ils étouffaient mais se sentaient en sécurité, au milieu de cette forêt de papier où ils avaient fait leur trou. Il n'y avait pas de meilleur endroit où s'enterrer vivant."

Hanif Kureishi, Quelque chose à te dire (Christian Bourgois, 2008). Traduit de l'anglais par Florence Cabaret

mardi 14 avril 2009

Comptes lecteurs : qu'est-ce qu'on attend ?

Franchement, mon compte lecteur de la bibliothèque est pauvre, il me désole :
- je dois tout d'abord comprendre, ou savoir, que je peux y accéder en cliquant sur "accès catalogue" ;
- j'y trouve mes nom, prénom et adresse (informations qui m'intéressent très modérément), ainsi que mon numéro de carte (alors que j'en ai eu besoin pour accéder à mon compte...)
- les informations que j'y trouve concernent l'état de mes prêts et réservations en cours.
Voilà, c'est tout.

Alors que moi, je l'aimerais mieux s'il était riche - cette première personne du singulier déborde, cela va de soi, ma petite personne. Etant abonnée depuis quelques mois à Mediapart, j'y ai découvert, outre le plaisir de lire des articles d'excellente qualité, sérieusement documentés et bien écrits, un volet "Club" qui pourrait servir de modèle pour proposer des comptes lecteurs plus élaborés à nos usagers. Puisque c'est bien, on pourrait copier, non ?

Mon compte lecteur sur Mediapart est riche, c'est un vrai lieu de vie :
- j'y ai accès dès la page d'accueil, dès la une du journal ;
- j'y existe : j'ai pu renseigner mon profil en choisissant les informations qui y figurent (photo, véritable identité ou pseudonyme,...) ;
- il me permet de développer mes réseaux sociaux : je peux avoir des contacts directs avec les journalistes et rédacteurs de mon choix (il suffit d'envoyer une demande contact, généralement acceptée) ;
- j'y ai une messagerie pour communiquer en privé avec mes correspondants du journal, qu'ils soient journalistes ou blogueurs ;
- j'y ai ouvert un blog (Marginales) et si je prends la peine d'écrire des billets pertinents ils peuvent se retrouver à la une (bonjour le quart d'heure de gloire...) ;
- grâce à un fil d'actualités, je suis informée en temps réel de l'activité de mes contacts (nouveaux articles ou billets, commentaires) ;
- je peux y entreposer mes articles favoris ;
- je peux retrouver les articles que j'ai recommandés ;
- je peux retrouver mes activités passées (ça, c'est bien pour les étourdies comme moi...)
- je peux participer à des "éditions" thématiques ;
- je peux en un seul clic passer de la partie "journal" à la partie "club" et réciproquement.

Alors, qu'est-ce qu'on attend pour les enrichir, nos comptes lecteurs, et pour en faire de véritables espaces personnels sur lesquels nous pourrions même proposer des services personnalisés ? Que l'on ne me dise pas que cela pose des problèmes techniques insurmontables, cet argument est de même nature que "moi, j'ai pas le temps" !

lundi 6 avril 2009

OPACs* de nouvelle génération

A l'occasion de l'assemblée générale du groupe Limousin-Poitou-Charentes de l'ABF, lundi 30 mars à la Bfm, Marc Maisonneuve (Tosca Consultants) a donné une conférence sur "le catalogue de la bibliothèque à l'heure du web 2.0 : présentation de l'offre d'OPACs de nouvelle génération" (voir sa présentation en pdf à la rubrique "Séminaires 2009").

Voici quelques notes sur ce qui m'a semblé important. Demain, je proposerai quelques réflexions sur ce qui m'apparaît comme un impensé des SIGB, OPACs et sites de bibliothèques : le compte-lecteur.


CONSTAT :

Le web, les relations interactives, ont contribué à la disqualification des pratiques traditionnelles de lecture de livres : le livre suppose un temps long, alors que le web offre l'immédiateté. L'exigence du "tout, tout de suite" l'emporte (faire vite et bien). Le livre est désormais "disqualifié" (déjà annoncé par François de Singly en 1993). Les bibliothèques ont actuellement un mauvais positionnement : problème des horaires d'ouverture (alors que le web est disponible 24 h / 24). Elles n'ont pas su suivre l'évolution des pratiques d'information ni des pratiques culturelles. A titre d'exemple, seuls 14 % des Français ont le réflexe d'aller en bibliothèque pour y trouver un nouveau roman... Elles ont toutefois une bonne image en ce qui concerne la qualité de leurs fonds. Côté acquisitions, nous sommes bons ! Diverses études montrent l'intérêt que présenteraient des services personnalisés, "profilés" : faut-il faire du sur-mesure pour chaque usager ?


UNE DOUBLE EVOLUTION A PREVOIR

Le positionnement de la bibliothèque comme lieu de loisir et de convivialité doit s'accompagner d'une offre d'outils conformes aux standards de la culture numérique (immédiateté, personnalisation, contenus en ligne).


Débat avec la salle

Le "tout, tout de suite" est influencé par la culture d'entreprise. Quid du temps long ? La demande des usagers sur les fonds loisirs et vie pratique reste très forte. Les bibliothèques sont perçues comme des lieux d'étude plutôt que de loisir. Plusieurs études montrent que les pratiques culturelles augmentent en France. Les bibliothèques ont évolué et continuent à évoluer ; on peut se demander pourquoi leur image évolue aussi peu. Les tendances changent : effet positif de la crise ? Il convient de relativiser la "rupture générationnelle" pointée par les études de sociologues, tout en restant à l'écoute des tendances. Erreur à éviter : la crispation. La fonction de prêt étant en érosion, il faut inventer d'autres propositions. Virgin et la FNAC sont devenus des lieux de séjour : incarnent-ils aujourd'hui la bibliothèque idéale ? L'offre numérique est quasiment inexistante aujourd'hui, il y a là une opportunité à saisir. La trop grande promiscuité avec le système scolaire a un effet contre-productif (cf. étude Tosca à paraître en juin)



LES OPACS DE NOUVELLE GENERATION

Les OPACs classiques présentent de gros défauts : ils ont un taux de silence redoutable, ne donnent rien à voir, n'incitent pas à la découverte, ne sont pas sexy, offrent peu d'aide au choix, ne sont pas encourageants pour l'usager qui doit se débattre avec un jargon inconnu. Les premiers OPACs ont vu le jour il y a 25 ans, ils ont peu évolué et les usagers ne se les sont pas appropriés. Nombre d'entre eux ne savent pas ce qu'ils cherchent, et il serait bon qu'ils trouvent quelque chose... D'autre part, avec le développement du numérique il est possible que nous voyions de moins en moins l'usager "irl" (in real life) ; comment rester en contact avec lui ?

Les OPACs de nouvelle génération présentent des caractéristiques communes :

  • recherche " à la google "

  • écran dépouillé
  • beaucoup de "bruit" dans les réponses, mais c'est moins déstabilisant que le silence (pas de situation d'échec)

  • réponse aux demandes précises ET aux demandes imprécises
  • navigation à facettes offrant différents angles de vision (cf. sites de commerce en ligne)

  • stratégies de rebond (nuages de mots)

  • tri des résultats par niveau de pertinence (algorithmes)

  • différentes manières de poursuivre la recherche : restreindre, rebondir, recommencer
  • pas plus d'un clic ou deux pour accéder à l'information
  • contenus enrichis grâce à diverses sources (y compris commerciales). Problème : les contenus disponibles restent pauvres en France.

  • l'usager a droit à la parole. Problème : les contenus produits par les usagers ne sont pas toujours intéressants

  • l'OPAC doit être indépendant du SIGB : deux systèmes indépendants à synchroniser
  • contenu enrichi, mais problème des bases de données fermées, inaccessibles (notices d'éditeurs par exemple)
  • zazieweb : contenus produits par des libraires
  • Babelio propose aussi une offre aux bibliothèques
  • rôle possible de l'ABF pour la production et la mutualisation de contenus ?

Le compte usager relève actuellement d'un bricolage peu satisfaisant et fait l'objet de peu d'études. J'aborderai cette question, qui a été à peine effleurée lors de cette conférence, dans un prochain billet.

* OPAC : "open public access catalog", à savoir le catalogue que peut consulter le public en bibliothèque - est-ce clair pour les non-bibliothécaires ? ;-)

mercredi 1 avril 2009

Ma bibliothèque change

L'équipe de la bibliothèque de Beaubreuil se penche depuis plusieurs mois ( ah ! les brainstormings !) sur des améliorations substantielles à apporter au fonctionnement de cet équipement de quartier. Plusieurs modifications entrent donc en vigueur aujourd'hui :

- Les ateliers "découverte de l'ordinateur" destinés aux séniors seront dorénavant animés par des adolescents, de façon à valoriser leurs compétences et à favoriser le lien intergénérationnel ;

- Les opérations de prêt et de retour de documents seront faites par des enfants les mercredis et samedis après-midis : ils adorent manipuler la douchette, pourquoi les en priver ?

- Il est désormais possible d'enregistrer ses documents soi-même avec son téléphone.

- La bibliothèque a acquis un millier d'i-phones empruntables gratuitement.

- Il est désormais possible d'emprunter les livres page par page.

- Un service "Empruntez un bibliothécaire" fonctionne de façon satisfaisante depuis déjà plusieurs semaines. Nous lançons aujourd'hui, en complément, une grande opération "Empruntez un lecteur" ; chacun pourra ainsi alternativement emprunter et être emprunté, au gré de ses humeurs.

- Les quotas de prêt sont totalement supprimés, chaque usager ayant le droit de décider pour lui-même.

- Enfin, les bibliothécaires disposent désormais tous d'un compte Facebook et d'un compte Twitter : il est donc possible de les suivre, de les poker, de tchater avec eux.

Bonne journée, chers lecteurs !