vendredi 26 juin 2009

La vraie vie

"La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c'est la littérature. Cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas "développés". Notre vie ; et aussi la vie des autres ; car le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.

Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l'expérience, sous des mots quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui qui, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence, et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher entièrement, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie. En somme, cet art si compliqué est justement le seul art vivant. Seul il exprime pour les autres et nous fait voir à nous-même notre propre vie, cette vie qui ne peut pas s'"observer", dont les apparences qu'on observe ont besoin d'être traduites et souvent lues à rebours et péniblement déchiffrées. Ce travail qu'avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d'imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c'est ce travail que l'art défera, c'est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous, qu'il nous fera suivre."


Marcel Proust, Le temps retrouvé in A la recherche du temps perdu T. 4 (Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1989)

mercredi 10 juin 2009

Tout tout tout sur les hybrides au congrès de l'ABF

(Je n'y serai pas, mais je relaie bien volontiers l'info)


Juste un petit billet pour annoncer que le groupe bibliothèques hybrides de l'ABF sera sur le stand de l'ABF au Congrès annuel qui se tiendra à Paris du 11 au 14 Juin
(stand A2).

Au programme : démonstrations, explications et rencontres avec les membres du groupe qui seront sur le stand. Nous nous chargerons également de faire des comptes rendus d'ateliers et de conférences sur le blog du Congrès, notamment par la diffusion des supports des intervenants. Nous alimenterons également un Twitter que vous pouvez suivre ici et retrouver dans la colonne de droite du blog du Congrès.

A l'heure où l'on s'interroge que les outils de partage en information documentation, nous aurons le plaisir de faire des démonstration du futur Bibliolab pour les congressistes qui passeront sur le stand. Pour les autres, le lancement officiel est prévu en Septembre prochain, probablement à l'occasion du Bookcamp. Histoire de vous mettre l'eau à la bouche voici ce dont il s'agit :

Issu d'une idée de Xavier Galaup, le Bibliolab est une plateforme animée par le groupe Bibliothèques Hybrides et qui constituera une partie du nouveau portail ABF. Il est consacré au numérique, aux TIC et s'articule autour de 3 objectifs :




  • Informer : grâce à des articles sur différentes thématiques

  • Former : grâce à la mise à disposition de tutoriels sur les applications proposées sur le Bibliolab mais aussi sur d'autres services

  • Expérimenter : grâce aux applications proposées sur le Bibliolab :

    • Se créer et utiliser un blog

    • Se créer et utiliser un agrégateur




Le Bibliolab mettra aussi en avant différentes ressources liées au groupe Bibliothèques Hybrides et à ses membres telles que :


Alors rendez-vous au congrès ou sur son blog bande de bibliothécaires !

mardi 2 juin 2009

Codicille : Gérard Genette autofictif

"Comment un auteur si rébarbatif peut-il avoir écrit un livre qui l'est si peu ?" se sont étonnés certains critiques après la publication de Bardadrac (Seuil, 2006). Rébarbatif, Gérard Genette ? Que nenni ! Plutôt un délicieux textologue, ivre d'humour et d'érudition, à l'esprit et à l'écriture suraiguisés.

J'oublie volontiers avoir un peu souffert il y a quelques années sur Figures IV, alors que je me laissais porter voluptueusement par des études littéraires tardives : ce livre a été pour moi une rencontre inattendue, une ouverture sur un nouveau mode de lecture exigeant, moins flottant que celui vers lequel je tendais naturellement.

Puis j'ai découvert Seuils (Seuil, 1987) à l'occasion d'un travail sur le livre en sémiotique de l'objet : passionnant de la première à la dernière ligne, car il m'a appris à regarder le livre et toutes ses interfaces sous un angle inédit - il serait d'ailleurs intéressant de réaliser une recherche équivalente sur les "seuils" des blogs.

Vinrent ensuite, au fil de mes curiosités, Palimpstes : la littérature au second degré (Seuil, 1982) et Mimologiques : voyage en Cratylie (Seuil, 1976) Autant de lectures marquées par le plaisir de cette intelligence et de ce style si peu banals.

Et voilà que Gérard Genette prolonge Bardadrac par un vif Codicille (Seuil, coll. Fiction & Cie, avril 2009) où il se livre et baguenaude en liberté, au gré d'un alphabet tout personnel à deux cent quatre-vingt six entrées : de A comme Again et Albussac à Z comme Zigue et Zou. On y croise Proust et Barthes, bien sûr, Derrida, Austin, Mitterrand, Goya (les deux), Borgès, le Cardinal de Retz, Maurice Blanchot, mais aussi six sortes de libido, des médialectes, des "souvenances", des faits historiques, des mots-chimères ("Rêvolution : changement de régime onirique"). Tout simplement délicieux !

Extrait de l'entrée "Bois" :
"Pour pratiquer la langue de bois, il n'est pas nécessaire d'avoir la gueule du même nom, mais cela peut aider, et réciproquement ; dans les deux cas, au physique et au moral, la langue est pâteuse. Je me suis pourtant réveillé un jour avec une gueule de bois de langue de bois, l'une m'incitant enfin à me défaire de l'autre."



A propos de Codicille :
"Genette, le vieil homme et l'enfant" sur le blog de Frédéric Forney, Le bateau libre
"Gérard Genette : un structuraliste en liberté", article d'Antoine Perraud sur Mediapart

Pour mieux connaître Gérard Genette :
"La métalepse. De la figure à la fiction" un entretien sur Vox Poetica
Et Gérard Genette sur Wikipédia
A noter : depuis plus de quarante ans, il est fidèle aux Editions du Seuil



(billet rédigé dans le cadre de l'opération "Masse critique" orchestrée par Babelio)