mardi 17 août 2010

Wannabee geek

"- OK, dit Muhammed avec soulagement. En réalité, j'ai tort de l'appeler geek. Les geeks, tout compte fait, ce ne sont pas des tarés. Au moins, ils vivent pour quelque chose, ils sont accros, cool, quoi. Votre... connaissance, Lee, c'était un wannabee geek. Un type qui s'occupe d'informatique, mais qui n'a ni les capacités ni l'endurance d'un authentique geek, et qui essaie quand même de se brancher en utilisant les buzzwords et les références du jour. (Il se racla la gorge). Beaucoup de gens pensent que les geeks sont des perdants, mais les vrais perdants, ce sont les wannabees, des bluffeurs, qui cherchent à se faire mousser - pas cool du tout.
- Mais il avait un boulot dans l'informatique, dit Jon. Il ne devait pas être si nul que ça.
- Pas besoin d'être geek pour travailler dans l'informatique, souligna Muhammed. Loin de là. Les wannabees peuvent être tout à fait compétents dans leur boulot. Les geeks, eux, sont plus difficiles à contrôler, ils veulent faire leurs trucs à eux et supportent mal qu'on leur dise comment faire leur travail.
Le terme "geek" avait longtemps servi à désigner les individus qui passent tout leur temps sur l'ordinateur, qui, de surcroît, sont négligés, mangent des pizzas, boivent du coca et ont des problèmes avec le sexe opposé. Sans que s'y associe de qualification spéciale, sinon que, forcément, un geek est capable d'un peu plus que de lancer un programme de traitement de texte. Le terme ne s'était que récemment étendu aux autres excentriques ou monomaniaques possédés par une passion, tels que les collectionneurs de timbres. Aujourd'hui, on pouvait donc parfaitement qualifier Luca et les clients de Libri di Luca de geeks des livres, même si eux-mêmes préféreraient sans doute être appelés bibliophiles.
Sa rencontre avec Muhammed avait cependant permis à Jon de revoir sa définition des geeks. Muhammed avait une allure soignée et était socialement adapté. Il avait un large cercle de connaissances et s'intéressait à beaucoup d'autres choses que les ordinateurs. Par ailleurs, étant né de parents turcs, il avait l'air autrement plus sain que le stéréotype du geek - un pâle teenager boutonneux et bigleux."

Mikkel Birkegaard, La librairie des ombres (Fleuve Noir, 2010). Traduit du danois par Inès Jorgensen