(J'ai écrit ce billet pour Marginales, mon blog Mediapart. Je le mets aussi ici car il concerne les bibliothèques publiques)
J'ai un problème : voilà treize ans que je travaille en bibliothèque publique, au service direct du public, et je suis incapable de dire ce que "grand public" veut dire, je ne sais vraiment pas ce qu'est le grand public ni ce qui est a priori bon pour lui, à savoir (implicitement) "pas trop intello".
Qui sont donc Monsieur et Madame Granpublic ? Que je sache cette catégorie, si souvent mise en avant lorsqu'il est question de bibliothèques publiques, n'a jamais été définie ni étudiée par les spécialistes de sciences humaines. M. et Mme GP ont-ils voté dimanche ? A droite, à gauche, au centre, aux extrêmes ? Se sont-ils abstenus ? Ont-ils des goûts moyens en toutes choses ? Un professeur des écoles appartient-il au grand public ? Et un professeur du secondaire ? Et un professeur d'université ? Et un ouvrier viré de sa boîte ? Et une majorette ? Et un gitan analphabète amateur de films de Jean Renoir ? Et un journaliste ? Les retraités sont-ils plus emblématiques du grand public que les adolescents de banlieue ? Les classes moyennes, est-cela, LE grand public ? Pour qui devons-nous travailler ? Danielle Steel est-elle grand public ? Et la bande dessinée ? Et Marcel Conche ? Et la poésie ? Les petits romans sont-ils plus grand public que les gros ? De plus, histoire d'introduire un peu de désordre dans nos catégories, les choix de Monsieur et Madame Granpublic sont parfois inattendus, leurs goûts et leurs intérêts ne les portent pas toujours vers où nous nous attendions à ce qu'ils aillent.
Autre facette du problème, corollaire de la précédente : je suis à peu près incapable de déterminer si un livre, une musique, un film, sont "intellos" - je ne suis pas du tout physionomiste, c'est peut-être lié.La catégorie "intello" est pour moi vide de sens. Les livres de François Jullien sont-ils intellos ? Certes, on suit mieux le fil de sa pensée si on connaît un peu le chinois et le grec, mais inversement ils peuvent susciter le désir de découvrir ces langues et ces pensées. Les films à petite diffusion appartiennent-ils à cette catégorie "intello" mal définie, si utile pour les exclure des fonds destinés au grand public ? La poésie est-elle intello ? Selon moi, elle parle à l'âme bien plus qu'à l'intellect ; de plus elle sert parfois, aussi, à lutter. Les cours de Michel Foucault au Collège de France, je parie que c'est intello - et pourtant ! Les livres d'un prix Nobel d'économie sont-ils intellos ? A mon avis, ils peuvent être utiles pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Essayer de comprendre, c'est ça être intello ? Mais dans le "grand public" avec lequel je travaille au quotidien, je vois une belle quantité de gens désireux d'avoir des outils pour comprendre. Sont-ils donc tous des intellos ? Ben non, puisque je vous dis que c'est le grand public !
Zut alors, reprenons à zéro. J'ai vraiment besoin d'aide !
5 commentaires:
Je ne sais pas si tu trouveras une réponse, mais il est vrai que la question mérite d'être posée.
Et si on oubliait le concpet de "grand public" tout simplement ? Quand je lis ce terme de "grand public" j'ai la vague impression de lire "grand enfant"...
Grand public... de 7 à 77 ans, ou plus exactement, à notre époque de 7 à 120 ans.
Peut-on le comprendre comme niveau d'accessibilité ?
Sinon effectivement, le public est grand :-), mais, hors de l'accessibilité, grand public, ça n'a de sens que dans sa propre interprétation.
Comme le mot intello ! :-)
Mais à qui confier un document ? - pour qu'il en apprécie pleinement le contenu - ça aide à classer ledit document.
A quel âge en aurait-on profité à fond, sans avoir suivi un bac +X ?
Difficile pour ceux qui ont ce bac +X, très facile à discerner pour ceux qui n'ont pas été jusque-là.
Bien cordialement
B. Majour
Sans compter que "intello" (compris comme "ayant fait des études supérieures poussées", allons) en face de "manuel de bricolage", ça peut vite retomber à un prétendu "grand public" :D.
Non ce ne sont pas des catégories opératoires, on le sait.
J'aimais bien la catégorisation débutant/amateur/confirmé quand je travaillais en lecture publique. Qu'en pensez-vous ?
Merci Sammy, Bernard et hélène.
Il me semble que dans la définition de niveaux d'accessibilité, nous nous appuyons sur des idées reçues jamais vraiment explicitées ; c'est bien ce qui me pose problème et qui parfois m'irrite.
Débutant/amateur/confirmé, cela peut fonctionner dans certains domaines où des compétences peuvent être mesurées (apprentissage de langues, par exemple), mais pas dans d'autres. Et cela reste assez proche de facile/moyen/difficile...
Ce que je constate au quotidien c'est que "le public" des bibliothèques publiques est surprenant. Et je m'en réjouis :-)
Sammy, je connaissais déjà ton blog ; hélène, heureuse de découvrir le vôtre, que j'ajoute à mon agrégateur.
Très bon blog et merci d'en faire profiter.
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