"J'aurais dû deviner que je finirais par m'embarquer dans une histoire avec les livres. Je trouvai un boulot monotone mais pas compliqué à la British Library, où je me transformais en ver de terre muni de bras afin de remonter à la surface des livres qui s'entassaient sur des kilomètres de tunnels sous Bloomsbury. Je passais mes journées dans les entrailles de ce sinistre bâtiment, cerné par des monceaux de papier imprimé qui tombait en poussière, émergeant de temps à autre dans la lumière et l'espace de la magnifique salle de lecture. Tout en travaillant, je chantais, ou je fredonnais : "Je suis un ver et je vis sous la terre."
Mes yeux, comme ceux de mes compagnons de travail, s'étaient adaptés à cette seule lumière tamisée et artificielle. Nous, les mineurs de livres, nous méprisions les lecteurs, leur arrogance, leur oisiveté, les jeux de séduction auxquels ils s'adonnaient entre eux. Ne se rendaient-ils pas compte qu'ils étaient dans une bibliothèque ? Même si nous étions un peu bizarres, un peu monstrueux même - véritables notes de bas de page du corps de leur texte -, ne pensaient-ils jamais à ce que nous faisions pour les approvisionner ? J'aimais pousser mon chariot, le dos courbé, dans les profondeurs de la terre, dans ce que Keats appelait les "passages sombres". Certains de ceux avec qui je travaillais peinaient dans cette vallée de livres depuis trente ans. Ils étouffaient mais se sentaient en sécurité, au milieu de cette forêt de papier où ils avaient fait leur trou. Il n'y avait pas de meilleur endroit où s'enterrer vivant."
Hanif Kureishi, Quelque chose à te dire (Christian Bourgois, 2008). Traduit de l'anglais par Florence Cabaret
1 commentaire:
Ce blog a beaucoup de convivialité et un accueil chaleureux
Merci beaucoup
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