lundi 6 octobre 2008

20/20

M. a 11 ans. Il est en 6ème dans un des deux collèges du quartier et vient très souvent à la bibliothèque. Il était puni, privé de cyberbase jusqu'à samedi dernier pour non respect des règles. Privé d'internet, de jeux, de clips de rap, de chat avec les potes - on ne va quand même pas se laisser enquiquiner par des enfants de moins de 12 ans, n'est-ce pas ? Et samedi, à l'ouverture, il était là, avec un visage sérieux et pas du tout escroc de banquier quinquagénaire qui s'attend à recevoir des prébendes de l'Etat. Un dossier rouge à la main, bien en évidence, pour le cas où nous n'aurions pas compris tout de suite qu'il n'était pas là pour rigoler.
"Il faut que j'aille à la cyberbase, j'ai un exposé à faire pour lundi.
- Je te rappelle que tu es puni, M.
- Oui, mais c'était jusqu'au 4 octobre et le 4 octobre c'est aujourd'hui.
- C'était jusqu'au 4 octobre INCLUS.
- Madame, il faut que je fasse mon exposé ! C'est pour lundi !
Ben voyons ! Et si ton travail n'est pas fait, ce sera la faute des bibliothécaires, si je comprends bien ?
- Qu'est-ce que c'est, ton exposé ?
- C'est sur Wolfgang Amadeus Mozart.
Pour un peu, il prononcerait à l'autrichienne. Visiblement, il s'est bien entraîné avant de venir. Regard franc, direct, presque passionné, d'érudit septuagénaire qui voudrait consulter un document rare. Non, il en fait un peu trop, là !
Bon, s'il est vraiment si motivé pour bosser sur Mozart, nous ne pouvons pas décemment l'en empêcher. Bien joué, M. !
Il a donc, en vrai, consacré son heure d'internet à préparer un exposé très complet sur le grand compositeur, avec l'aide de l'un des animateurs. Aux 20/20 en musique, j'ajouterais bien un 20/20 en négociation efficace...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"Il était puni, privé de cyberbase jusqu'à samedi dernier pour non respect des règles. Privé d'internet, de jeux, de clips de rap, de chat avec les potes"

C'est de plus en plus chouette les bibliothèques. Aussi chouette que les écoles d'avant. Et on risque pas de les perdre ces lecteurs là, vu qu'ils ont besoin de nous pour leurs devoirs. En fait ils auront toujours besoin de tout le monde...et ça pourrait finir par les agacer, ces petits banlieusards qui deviendront grands.

Bibs-enseignants, mème combat, pour une jeunesse responsable et respectueuse ! Non, mais!

Chignon-lunettes-baguette. A quand le bonnet d'âne et les coups de règle sur les doigts ?

C'est l'arc en ciel ou l'arc électrique du Taser ?

Nadine Pestourie a dit…

Je vous trouve un peu dur(e), Madame ou Monsieur Anonyme...

Oui, en bibliothèque comme dans tout lieu de sociabilité, il y a quelques règles à respecter : il est, par exemple, interdit d'insulter le personnel et les autres usagers. "Une jeunesse responsable et respectueuse" ? Et pourquoi pas ? Enseigner le respect en bibliothèque, pourquoi pas ?

Oui, la bibliothèque où je travaille est un lieu "chouette" et les jeunes du quartier la fréquentent très volontiers, que ce soit pour leurs devoirs, pour aller librement sur internet (nous n'interdisons pas, comme c'est le cas dans d'autres bibliothèques, les jeux, le chat et les clips de rap). Ces jeunes, nous les connaissons bien, ils nous font confiance et nous travaillons autant que possible AVEC eux. Le respect, ce n'est jamais à sens unique.

Oui, j'ai des lunettes (vous n'allez tout de même pas me reprocher d'être astigmate, j'espère !) mais ni chignon ni baguette ni taser - votre remarque va sans doute beaucoup amuser mes collègues et mon entourage.

Oui, on peut se permettre de punir des enfants. Ce que j'ai trouvé intéressant, dans l'échange qui a eu lieu avec M., c'est sa stratégie intelligente de négociation. Je vous précise que M., je le vois quasiment tous les jours. Je ne le considère pas comme un "petit banlieusard", mais comme un être humain qui construit sa personnalité, entre autres à la bibliothèque.

Cordialement, puisque je suppose que nous faisons à peu près le même métier...

Anonyme a dit…

C'est madame anonyme, mais ça a peu d'intérêt en soi. Je confesse m'être défoulée un peu exagérément en réagissant aux expressions utilisées. Je précise que "petit banlieusard" n'a rien de péjoratif. Mais plus sérieusement, et pour avoir travaillé longtemps avec des jeunes en région parisienne (comme petite banlieusarde moi aussi), je pense qu'on a mis le doigt il y a quelques années sur la question de la "démission des parents" (terme journalistique, mais je le reprends, faute de mieux). Et je me demande si c'est bien à nous de punir, du moins aussi directement.

Finalement c'est techniquement assez commode. C'est beaucoup plus compliqué de prévenir les parents, de les impliquer dans l'acte irrespectueux de leur gamin. Et de les laisser intervenir à leur façon. Après tout nous ne sommes ni ses parents ni chargés de son education. Les profs (et l'administration) travaillant dans les mèmes endroits ont mis des années à comprendre cela, mais ils savent maintenant que c'est plus payant. A terme, sur le plan éducatif, c'est beaucoup plus productif. Et nous sanctionnons tout de mème le comportement, puisque nous réagissons, ça n'est donc pas une démission de notre part. Simplement le niveau d'intervention diffère. Après tout il n'a pas transgressé NOS règles, mais DES règles sociales en général. Et c'est ce qu'il faut qu'il comprenne. Car nous ne serons pas là quand il recommencera dans un autre lieu. Si chaque acteur social personnalise sa réaction, le message se dilue. Et l'enfant n'a plus qu'à surfer entre ce qui est sanctionné ici et pas là etc...Ce qu'il fait d'ailleurs le plus souvent.

Par contre c'est plus délicat psychologiquement, car le môme vous en voudra beaucoup plus d'avoir informé la famille que de l'avoir puni directement. La punition directe c'est "de toi à moi", ça reste entre nous, donc quelque part ça a peu de conséquences. Tu peux me re-punir la prochaine fois si tu veux... En passant par les parents, on lui "fiche la honte". Et il nous en veut. Je l'ai vécu et je sais que ça n'est pas facile. Le môme prend ça pour une espèce de trahison. Le risque de la perte de confiance est donc là. Vous le dites vous-même : "Ces jeunes, nous les connaissons bien, ils nous font confiance et nous travaillons autant que possible AVEC eux"

Je reconnais l'avoir peu fait au total et avoir souvent préféré le confort moral de "la petite sanction entre amis" si je puis dire.

Là où je suis actuellement, je sanctionne les "débordements" sur internet non pas par une privation momentanée d'accès mais par un petit mot aux parents. Et ça s'est su très vite. Les mauvaises nouvelles vont vite. Et je peux vous dire que ça produit son petit effet dissuasif bien au delà du seul sanctionné. Bien sûr, le prix à payer, c'est qu'un parent réagisse de façon inconsidérée au message et interdise carrément l'accès de la mediathèque à son enfant, voire au delà. Ce n'est pas encore arrivé mais le risque existe.

Il y a une chose qui continue à me gêner, dans ma propre pratique, mais je suppose que nous le vivons tous, c'est le côté "la carotte et le bâton". Un relent de chantage dissimulé. Est-ce qu'il n'accepte pas ma remarque ou ma sanction AUSSI parce qu'il sait qu'il aura besoin de moi pour ses devoirs ou autre, et qu'au fond il a intérêt à me ménager ? Vous dites fort justement que le respect n'est jamais à sens unique. Oui, mais ne sommes nous pas naïves quant aux motivations de ce respect ?

Rendons donc l'éducation de leurs enfants aux parents. Ne les évinçons pas de leur responsabilité. Ne nous substituons pas à eux, comme "l'institution" en général l'a fait, en toute bonne foi d'ailleurs, pendant si longtemps.

Voilà, sans polémique et cordialement.

PS. J'ai aussi des lunettes, mais c'est pour la myopie. Et comme je suis aussi presbyte, j'ai les lunettes au bout du nez (assez long heureusement) les trois-quart du temps. C'est très laid, mais je n'arrive pas à me faire aux verres progressifs...Voilà, bonne rigolade aux collègues.

Nadine Pestourie a dit…

Franchement, cela ne me pose aucun problème de punir moi-même un enfant pour un acte répréhensible commis à la bibliothèque. Prévenir les parents, il peut nous arriver de le faire... lorsqu'il y a des parents, ce qui n'est pas toujours le cas. Quoi qu'il en soit, je n'ai pas l'impression de me substituer aux parents en jouant mon rôle de responsable de bibliothèque. Il m'est arrivé aussi de prévenir l'établissement scolaire ou d'autres acteurs du quartier. Mais je considère la punition avant tout comme un outil ou un support de dialogue...

En ce qui concerne le respect, je pense qu'il existe réellement, même s'il y a parfois des dérapages.

Cordialement