Parce qu’elles sont inintéressantes ?
Parce qu’elles ne posent pas problème ?
Parce qu’elles sont top secret, soumises à un strict devoir de réserve ?
Parce que tant qu’il n’y a pas trop de vagues on considère que tout va très bien madame la marquise ?
J’étais la seule bibliothécaire, la semaine dernière, au stage de 3 jours organisé par l’ENACT de Nancy (Ecole nationale d’Application des Cadres territoriaux) sur le thème « De la notation administrative à l’entretien annuel d’évaluation ». Les autres participants, venus de toute la France, étaient des attachés et rédacteurs travaillant dans des Directions des Ressources humaines de collectivités territoriales. Animateur : Benoît Saïdi, adjoint au DRH et chargé des projets de modernisation au Conseil général des Hauts-de-Seine.
Voici quelques notes prises au cours de ce stage, qui me semblent de nature à alimenter une réflexion sur le fonctionnement humain des bibliothèques et à fournir des pistes d’améliorations possibles.
Le système actuel de notation
- Le positionnement des agents dans leur collectivité, ainsi que leurs missions, sont trop souvent laissés dans le flou : pas d’organigramme actualisé, fiches de postes inexistantes ou jamais mises à jour. Dans ces conditions, chacun tend à travailler un peu en free-lance, en attendant que l’ancienneté lui permette de gravir les échelons. On ne peut que se demander à qui profite le flou…
- Critères actuellement appréciés et notés :
En catégories A et B : aptitudes générales ; efficacité ; qualité d’encadrement ; sens des relations humaines.
En catégorie C : connaissances professionnelles ; initiative, exécution, rapidité, finition ; sens du travail en commun et relations avec le public ; ponctualité et assiduité.
A noter au passage, et à rapprocher des récents billets de De tout sur rien (1, 2, 3, 4, 5) : le « sens des relations avec le public » ne semble concerner que les agents de catégorie C qui, de plus, sont tenus d’arriver à l’heure, d’avoir l’esprit d’équipe et des « connaissances professionnelles »…
- Le système actuel de notation dans la fonction publique territoriale devrait laisser place dans les mois qui viennent à un mode d’évaluation calqué sur celui de la fonction publique d’Etat*, avec obligation d’un entretien annuel entre tout fonctionnaire et son supérieur hiérarchique direct (et lui seul).
Les limites du système actuel
- Plusieurs jurisprudences insistent sur le fait qu’il DOIT y avoir cohérence entre note chiffrée et appréciation générale – cela semble évident, mais l’existence de ces jugements prouve que ce n’est pas toujours le cas.- La procédure de notation est appliquée différemment selon les structures, avec des échelles fort différentes d’une collectivité à l’autre. La note chiffrée est loin d’une évaluation du travail réellement effectué par l’agent. D’autre part, l’appréciation qui l’accompagne est le plus souvent rédigée dans un style convenu qui laisse une grande place aux non-dits et sous-entendus. On relève même des pratiques déviantes : agent excellemment noté et jugé par sa collectivité… qui souhaite avant tout le voir partir. Enfin, les chefs de services sont rarement formés à cet exercice et appliquent plus ou moins ce qu’ils ont appris sur le terrain.
- La procédure est exagérément chronophage et peut créer une démotivation des agents, en particulier les plus jeunes.
- La note et l’appréciation ne sont pas de réels critères d’avancement : ce sont davantage l’ancienneté ou l’appui du supérieur qui conditionnent la promotion interne ou l’avancement de grade.
Ce qui devrait être mis en place
La fiche de poste devrait être un élément-clé pour l’évaluation et devrait être mise à jour chaque année en fonction de l’évolution des missions et tâches, en lien avec les objectifs clairement exprimés de la collectivité et avec les attentes de l’agent dans la gestion de sa carrière.
Trois niveaux devraient être intégrés dans un dispositif d’évaluation :
- le niveau de performance = capacité à atteindre des objectifs opérationnels (court terme)
- le niveau des compétences mises en œuvre et du comportement de l’agent = professionnalisme
- le potentiel de développement (long terme) .
L’évaluation devrait se réaliser à partir de la notion d’objectifs discutés avec l’agent et formalisés lors de l’entretien. A noter : un agent motivé peut avoir une large marge d’autonomie dans la proposition de ses objectifs opérationnels et des indicateurs de mesure. Les objectifs doivent toujours être en cohérence avec les missions des postes.
Les objectifs doivent être déclinés en cascade pour que l’action soit cohérente :
- objectifs politiques (orientations de l’exécutif – projet de mandature)
- objectifs institutionnels (orientations stratégiques de la DG)
- objectifs de direction
- objectifs de service
- objectifs d’équipes
- objectifs individuels.
Les objectifs doivent être « SMART » :
S = SPECIFIQUES(clairs, précis, adaptés à la personne)
M = MESURABLES (objectifs quantitatifs) ou OBSERVABLES (objectifs qualitatifs)
A = AMBITIEUX (facteurs de motivation)
R = REALISABLES
T = définis dans le TEMPS.
Il est important que l’entretien annuel d’évaluation, considéré comme un moment privilégié de rencontre entre chaque agent et son supérieur hiérarchique direct, soit préparé. Sa durée devrait être comprise entre une demi-heure et une heure. Il doit se dérouler dans des conditions de confidentialité satisfaisantes.
* * *
* Cadre réglementaire :
Décret n° 2007-1365 du 17 septembre 2007 portant application de l’article 55 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, qui instaure l’entretien professionnel, véritable entretien d’évaluation.
Ch. 2, art. 2 : « Le fonctionnaire bénéficie chaque année d’un entretien professionnel qui donne lieu à un compte rendu. »
Art. 3 : « L’entretien professionnel est conduit par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il porte principalement sur :
1. Les résultats professionnels obtenus par le fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été assignés et aux conditions d’organisation et de fonctionnement du service dont il relève.
2. Les objectifs assignés au fonctionnaire pour l’année à venir et les perspectives d’amélioration de ses résultats professionnels, compte tenu le cas échéant des perspectives d’évolution des conditions d’organisation et de fonctionnement du service.
3. La manière de servir du fonctionnaire.
4. Les acquis de son expérience professionnelle.
5. Les besoins de formation du fonctionnaire, eu égard notamment aux missions qui lui sont imparties, aux compétences qu’il doit acquérir et aux formations dont il a bénéficié.
6. Ses perspectives d’évolution professionnelle en terme de carrière et de mobilité. »
Art. 4 : « Le compte rendu de l’entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. Il est communiqué au fonctionnaire qui le signe après l’avoir, le cas échéant, complété par ses observations sur la conduite de l’entretien ou les différents sujets sur lesquels il porte, puis le retourne à son supérieur hiérarchique qui le verse au dossier. »
7 commentaires:
Tu as raison le sujet est trop peu abordé, j'avais fait mon mémoire de maîtrise sur le rapport entre évaluation des collections et évaluation des personnels, et il me semble que rien n'a changé depuis.
les bibliothèques territoriales sont soumises aux mêmes règles d'évaluation que les autres services municipaux. tant mieux ! Notre nouveau système mis en place se rapproche de ce que tu décris : entretien professionnel avec objectifs communs à TOUS les services + objectifs particuliers aux bib. Tous les évaluateurs ont été formés.
Le sujet concerne l'ensemble des personnels d'une collectivité : les DRH ne sont pas trop blogueurs, non ? ;-)
Je vois trois problématiques :
1) Tout reposera donc sur la cohérence des objectifs avec la fiche de poste. Or 68% des fonctionnaires territoriaux n'ont pas de fiche de poste. Ce n'est pas un oubli. Il faut se demander pourquoi ça n'est souhaité ni par les DRH ni par certains fonctionnaires. Et on ne compte pas ceux qui ont une fiche mais tellement obsolète qu'elle n'a plus de sens par rapport aux missions effectivement réalisées.
2)Toute la question est ensuite de savoir s'il est pertinent d'investir les Ressources humaines d'un pouvoir et de compétences qu'elles n'ont pas. Reste à compter sur les formations, bien entendu.
3) Comment seront définis les objectifs (ou projets de service)?
Tout projet nécessite des moyens humains et matériels adaptés. La validité d'un projet dépendra donc beaucoup des budgets. Et le consensus élus/fonctionnaires risque de se faire sur des projets peu coûteux. Ce qui en limitera considérablement le choix. On peut penser que ce choix réduit sera peu propice à évaluer les compétences et les motivations réelles du fonctionnaire et du service.
Pour le reste, notamment la notion de "résultat", les débats sont déja nombreux un peu partout, notamment au niveau syndical, rejoignant d'ailleurs ceux menés autour de la notion de rémunération au "mérite" évoquée dans le libre blanc. Ce qui est logique dans la mesure où le nouveau statut rendra effectif ces deux motions au même moment.
Bravo d'avoir apporté une utile contribution à un sujet effectivement peu abordé chez les biblioblogueurs et les forums professionnels.
pas eu le temps de lire tout ce texte certainement passionnant car je suis moi même en évaluation !!!!
chon
Petite précision liée aux liens vers ma série "Ton meilleur profil" : je ne pense pas une nano-seconde que les compétences relationnelles et d'accueil sont réservées aux cat. C ; je pense que ces compétences sont un pré-requis incontournable pour TOUT personnel intervenant dans une bibliothèque et plus largement, un service public.
@detoutsurrien
D'accord à 100 %.
Actuellement, dans la FP territoriale, le "sens des relations avec le public" est l'objet d'une note et d'une appréciation uniquement pour les agents de catégorie C, ce qui me semble très anormal.
Question anodine : si les compétences réclamées aux cadres sont évaluables et peuvent donner lieu à des formations et des améliorations, ainsi que des bilans de compétences, qu'en est-il des compétences liées à l'accueil .? Les deux derniers commentateurs les définissent comme "compétences relationnelles et d'accueil" et "sens des relations avec le public", en reprenant les terminologies en usage. Tout cela à déterminer dans un entretien annuel d'évaluation. Si tout ce qui concerne les relations internes à l'équipe est d'une certaine façon mesurable puisque restreint à une certain nombre de personnes identifiables, qu'en est-il du public ? Sorti de la compétence mesurable (je peux renseigner quelqu'un ou non), que reste-t'il à évaluer : la qualité du sourire, la capacité de la patience, l'intensité du regard ?
Qui juge ? Le public (vers un public qui plébisciterait l'accueil par untel) ? Quelles compétences proposer? Je peux témoigner en tous cas que ce type de critère est actuellement considéré comme non-efficient et totalement squeezé au niveau de l'appréciation-notation. Le chef de service, le plus souvent absent à l'accueil et de plus parfaitement conscient de son incompétence à porter ce type de jugement, préfère passer outre et "globaliser" son appréciation. Quant aux notes, au moins dans la FPT, elles sont également portées globalement et non pas déclinées selon chaque critère.
Renforcer les compétences globales des agents et intégrer clairement les cadres aux fonctions d'accueil est une excellente chose (et qui ne sera souvent que la prise en compte de choses déja effectives dans beaucoup de services bien qu' absentes des fiches de poste), mais sortir de systèmes de notation aussi ésotériques et qui paraitront vite suspects (perçus par les notés comme "à la tete du client)me semble urgentissime. Et la nouvelle mouture, déclinée sous forme d'objectifs, ne me semble pas quitter les ornières traditionnelles de la notation administrative. Une "capacité à" doit être différenciée d'une compétence acquise. Tout n'est pas notable.
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