"C'était un être secret. Il adorait un seul dieu mortel, le grand Dionysos, à qui Cerbère, le chien qui gardait l'entrée des enfers, léchait les pieds. C'est à travers lui, à travers les yeux de Dionysos, qu'il apercevait tout à présent, sans que les autres le sachent. Il transforma ses séances de lecture en une fête nocturne, à la recherche de "dissolues bouffonneries carnavalesques" et "d'immondices verbales". Tout avait commencé comme un paradoxe comique. Tout venait de la commande que lui avait passée le chapitre de la cathédrale de Saint-Jacques : étudier les expressions risus paschalis, le rire pascal, la célèbre festa stultorum, la fête des idiots, et même l'existence ou pas d'une fête des ânes dans la tradition de l'Eglise compostellienne. Evidemment, il n'avança pas beaucoup dans cette commande particulière. Il ne parvenait plus à être sur tous ces fronts qui s'étaient soudain ouverts devant lui. A s'intéresser à tous ces livres qui l'attendaient sur les rayonnages irrédentistes, dans les armoires fermées et enterrées vivantes dans des greniers ou dans des caves immondes. Il commença à fouiller les recoins qu'il avait jadis proscrits. Ses doigts jaunes de philologue guerrier sentaient à présent le sexe et brillaient de la même façon que la savoureuse lie des mots." (p. 311-312)
Manuel Rivas, L'Eclat dans l'Abîme : mémoires d'un autodafé (Gallimard, 2008)
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