Promenade dans le livre de
Fabien Faure,
Richard Serra : ma réponse à Kyoto (éditions Fage, 2008)
Enfant, Richard Serra arpente inlassablement les plages californiennes et remarque avec acuité à quel point les trajets retour sont dissemblables des trajets aller.
Il dira : "Que se passe-t-il lorsque je fais demi-tour pour revenir sur mes pas ? Que se passe-t-il lorsque je tourne à gauche, ou que je tourne à droite ? Que se passe-t-il également au-dessus, ou au dessous de Moi ? Qu'y a-t-il là que je ne peux ramener à une image susceptible d'être mémorisée parce que le flux qui me parvient est continu ?"
Plus tard, entre 1956 et 1964, il travaille régulièrement dans des aciéries de la région de San Francisco pour payer ses études. Artiste, il ne cesse d'affiner sa perception de grands espaces où il installe de monumentales oeuvres d'acier - il avait abandonné définitivement la peinture après un séjour à Florence en 1965-1966, qui occasionne chez lui un détachement affiché vis-à-vis de la perspective.
Marqué à la fois par la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty, par le courant américain de la post-modern dance qui sublime la marche comme mouvement dansé, puis par un séjour au Japon en 1970 où il découvre les jardins zen des temples de Myoshin-ji, il conçoit ses oeuvres comme autant d'expériences phénoménologiques au cours desquelles le spectateur prend conscience de sa propre activité perceptive. Pour lui, "la dialectique de la marche et du regard dans le paysage constitue l'expérience de la sculpture". Il récuse les "homeless objects" de l'art, qui lui semblent abandonnés : lui préfère régler l'oeuvre sur son lieu d'implantation (par exemple, Pulitzer Piece : Stepped Elevation à Saint-Louis Missouri ; Promenade au Grand-Palais à Paris à l'occasion de Monumenta 2008, dont j'ai déjà parlé et qui m'a bouleversée). Très loin de l'attention flottante que l'on associe généralement à l'idée de promenade, il invente la notion de perception déambulatoire, qui conjugue concentration et disponibilité, dans un espace désencombré. Il rejoint ainsi Carl Einstein, qui disait déjà, en 1934 : "On avait oublié que l'espace n'est autre que la synthèse de nos mouvements corporels et de nos émotions dynamiques, dont les symptômes variables sont les objets".
Un seul regret : les photographies de ce livre sont toutes en noir et blanc, comme pour renforcer la réputation d'austérité virile que l'on associe souvent à cet artiste et qui lui est injustement reprochée. Il y manque donc la dimension colorée de l'oeuvre, les roux sombres de l'acier en tension vibratoire avec l'environnement.
Quelques oeuvres à admirer en se promenant : The Matter of Time au musée Guggenheim de Bilbao (si vous ne connaissez pas, allez-y, c'est époustouflant !) , Clara-Clara au jardin des Tuileries à Paris.
1 commentaire:
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